La parole raciste banalisée en France ?

7 avril 2014

La parole raciste banalisée en France ?

keith haring

Depuis plusieurs semaines, nombre de sondages alertent sur la montée du sentiment raciste en France, qui s’inscrit par ailleurs dans la percée des nationalismes et des partis xénophobes en Europe de manière plus générale. Dernière enquête en date, le rapport annuel de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) qui rapporte que 35 % des sondés s’estiment ouvertement racistes. Et, 9 % indiquent se disent « plutôt racistes », 26 % « un peu racistes », ce qui représente des hausses respectives de 2 et 4 points comparativement à la même enquête réalisée en 2012. Les principales cibles semblent être les Arabo-musulmans et les Roms. L’antisémitisme demeure par contre condamné.

Les résultats de cette étude peuvent être corrélés avec la percée significative du Front National aux élections municipales, qui utilise traditionnellement comme fer de lance électoral la remise en cause des politiques d’immigration couplée à une hausse de l’insécurité et la stigmatisation de l’islam. Ainsi, 63 % des personnes interrogées lors de cette étude pensent ainsi que l’intégration des étrangers « fonctionne mal », mais surtout, 68 % affirment que les populations d’origine étrangère « ne se donnent pas les moyens de s’intégrer ». L’immigration semble toujours endosser une part de la responsabilité de la crise économique et sociétale, à l’heure même où l’émigration, elle, semble une issue favorable pour nombre de jeunes Français en quête d’emploi.

Selon Christine Lazerges, présidente de la CNCDH, la France est pourtant moins raciste qu’il y a trente ans : « Nous ne sommes plus au temps des ratonnades. […] De même, les mariages entre nationalités différentes, ou religions différentes, sont nettement en hausse. Mais tout n’est pas réglé, loin de là. Au fond, le racisme biologique a en partie cédé la place à un racisme culturel »1. Le développement de l’islamophobie semble très clair pour C. Lazerges, de même que la stigmatisation des Roms, « qui ont été victimes sur la dernière période de propos inacceptables, émanant d’élus, dont certains ont été réélus dimanche 30 mars 2014 ».

Et c’est peu dire : l’un des auteurs de propos stigmatisants ne fut autre que Manuel Valls, ex-ministre de l’Intérieur, promu récemment…. premier ministre. Comme beaucoup  d’acteurs du premier gouvernement Hollande qui n’ont pas démérité en la matière, Manuel Valls peut afficher au compteur sa bourde magistrale : les Roms sont des « populations qui ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation » et ont « pour vocation de rentrer en Roumanie »

Cette malencontreuse infortune n’impliquait ni compte financier occulte ni bisbille avec un autre ministère. Juste une fâcheuse tendance à draguer maladroitement les instincts primaires d’une frange de l’électorat. Elle ne lui aura pas coûté son fauteuil de chef du gouvernement.

Avec de tels coups d’éclat, la bonne volonté du chef de l’Etat d’afficher sa détermination à préserver les valeurs de la République et l’unité de la nation semble ainsi pour le moins affadie. « Nos différences ne doivent pas devenir des divisions. Nos diversités des discordes. Le pays a besoin d’apaisement, de réconciliation, de rassemblement. […] Une France non pas dressée contre une autre, mais une France réunie dans une même communauté de destin. Et je réaffirmerai en toutes circonstances nos principes intangibles de laïcité, comme je lutterai contre le racisme, l’antisémitisme et toutes les discriminations »2 martelait avec force et conviction F. Hollande lors de son discours d’investiture à l’Elysée. Une manière de rompre à demi-mot avec son prédécesseur N. Sarkozy, accusé par la gauche de recourir à une rhétorique populiste et droitière, dont le ministère de l’Identité nationale fut le symbole institutionnel : «  À force de synthèses politiques douteuses et de relectures historiques frelatées, [les dirigeants] ont rendu la France peu à peu nauséeuse »3 juge à ce propos Bernard Cazeneuve, nouveau ministre de l’Intérieur.

En matière de lutte contre les racismes, l’exemple doit venir d’en haut. Pour agir, estime C. Lazerges, « il y a deux maîtres mots : éducation (des jeunes) et formation (des adultes) ». Un chantier utopique, si l’on ne considère pas la polarisation du paysage politique depuis plusieurs mois vers les orientations idéologiques du Front national. D’un côté, la volonté de certains cadres de l’UMP de récupérer une partie de l’électorat de Marine Le Pen, de l’autre, un Front national avide de pouvoir et évoluant masqué en jouant la carte savamment menée de la dédiabolisation. Le tout sans jamais interroger le contexte social et économique qui sous-tend le rejet des populations défavorisées, vivant pour la plupart dans des territoires totalement abandonnés par l’Etat et désertés par les services publics. Il y a bien longtemps que le sort des banlieues et des milieux ruraux n’intéresse plus les politiques. Or ce sont bien souvent les territoires les plus touchés par la montée du Front national et du sentiment xénophobe.

1 Interview de C. Lazerges, l’Humanité, 02/04/14

2 Discours d’investiture de F. Hollande, 15/05/12

3 « rares propos du nouveau ministre de l’Intérieur,  B. Cazeneuve, sur la laïcité » S. Le Bars, Le Monde

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