L’Aide Sociale à l’Enfance à l’épreuve de l’austérité

Article : L’Aide Sociale à l’Enfance à l’épreuve de l’austérité
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14 septembre 2014

L’Aide Sociale à l’Enfance à l’épreuve de l’austérité

Depuis le premier août, une nouvelle mesure prise par le conseil général de Haute Garonne, à majorité socialiste, n’en finit pas de faire polémique. Elle stipule l’arrêt de la prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance des jeunes majeurs isolés étrangers de plus de 19 ans. Une décision vigoureusement contestée par les syndicats de travailleurs sociaux, qui dénoncent le caractère discriminatoire d’une telle mesure.

jeunes migrants isolésCette rentrée horribilis ne semble pas uniquement mettre à l’épreuve le nouveau gouvernement Valls. Le parti socialiste paraît de plus en plus fragilisé par ses dissensions internes. L’austérité budgétaire, que le premier ministre réfute, est cependant décriée par ses opposants au sein même de la majorité, les fameux frondeurs. Après avoir purgé le gouvernement de son aile gauche trop critique, Manuel Valls a rappelé à l’envi aux militants les plus sceptiques, lors de la récente université d’été du parti, que la ligne politique envisagée n’était pas celle de l’austérité. Malgré la priorité de la lutte contre les déficits, « cette réduction des déficits ne doit pas se faire par dogmatisme, ce n’est pas un but en soi […] Nous ne faisons pas de l’austérité ». Affirmant « aimer le débat » qualifié selon les termes du premier ministre de « normal », « sain », « utile » et « indispensable », il  doit néanmoins  demeurer discret, ou porter à la marge. L’opposition ostentatoire des frondeurs et de l’aile gauche du parti sur les choix politiques du tandem Hollande-Valls est malvenue : «Les Français nous regardent. Si nous ne montrons pas l’exemple, nous tous, comment pourraient-ils comprendre, retrouver confiance, avoir le sentiment que leurs efforts ont un sens ? » L’heure est au soutien, indéfectible, au président Hollande. Selon Manuel Valls, les parlementaires, les militants et élus socialistes doivent afficher cette solidarité garante de la confiance et de la crédibilité conférées à l’action présidentielle.

Pourtant, sur le terrain national, les effets de la rigueur budgétaire se font apparaitre, étiolant la confiance des soutiens traditionnels de l’action menée par l’exécutif socialiste. De nombreux députés et élus locaux socialistes doivent faire face à la colère et au ressentiment de leurs électeurs. Diminution des prestations sociales, gel des retraites, gel du point d’indice des fonctionnaires, sans parler des 50 milliards d’économies qui devront être réalisées sous trois ans par l’état, l’assurance maladie et les collectivités locales, afin de financer le pacte de responsabilité.

Dans le champ de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) notamment, des signes de restriction des missions des collectivités apparaissent. Chargée d’être mise en œuvre par les conseils généraux et les départements, l’ASE s’adresse aux mineurs et à leurs familles, ainsi qu’aux mineurs émancipés et aux jeunes majeurs de moins de 21 ans.  Cette aide consiste à protéger et prévenir des jeunes exposés à « des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ». Soutien matériel, éducatif et psychologique sont prodigués ainsi qu’une prise en charge hors du milieu de vie habituel, si nécessaire. Cet accueil peut être mis en œuvre dans un cadre administratif, à la demande des parents ou d’un jeune majeur, ou judiciaire, par décision du juge pour enfants.

Cet été, le conseil général de la Haute Garonne (31), de majorité socialiste, a pris la décision de mettre un terme à la prise en charge des jeunes étrangers de plus de 19 ans, placés dans les différentes MECS (Maisons d’Enfants à Caractère Social). Début août, les établissements concernés se sont vus signifier par téléphone ces nouvelles mesures, les jeunes majeurs étrangers ayant atteint 19 ans devant être reçus par leurs référents afin de trouver des solutions d’hébergement, et ce dans un délai de 3 à 7 jours.

Par ailleurs, la mesure devient rétroactive dans le service d’accueil des mineurs étrangers isolés (SAMI) « et met à la rue une cinquantaine de jeunes étrangers sans autorité parentale » , s’indigne Stéphane Borras, représentant du personnel au Conseil général et membre du syndicat SUD31. Les syndicats des travailleurs sociaux de Haute Garonne dénoncent ainsi le caractère discriminatoire et illégal d’une « décision inique et abrupte du CG 31 » et se mobilisent depuis pour l’abandon de cette mesure : « Accompagner pendant des années des jeunes qui sont très souvent déjà passés par la rue pour les y renvoyer sans solution, ce n’est pas notre conception du travail social.Nous refuserons dans ces conditions de servir de caution morale à un pouvoir public qui petit à petit abandonne les plus faibles à leur sort, faisant fi de toute solidarité nationale. »

Parmi les jeunes concernés par cette mesure, on compte beaucoup de jeunes migrants issus d’Afrique du Nord, suite au printemps Arabe, d’Afrique subsaharienne, et du Bangladesh. La hausse du nombre de migrants depuis ces dernières années est, selon Pierre Izard, président du CG 31, à l’origine du retrait des pouvoirs publics de leur prise en charge :  « Depuis 2012, le Conseil Général de la Haute-Garonne a accompagné un nombre croissant de jeunes isolés étrangers qui arrivent démunis sur le territoire départemental. A ce jour ce sont plus de 350 jeunes qui sont pris en charge alors qu’ils n’étaient que 70 en 2011. Le budget alloué à cette mission est en constante augmentation : 4,1 millions d’euros en 2012, 8,1 millions d’euros en 2013, 10 millions d’euros prévus en 2014 ». En outre, citant l’article 222-5 du Code de l’Action Sociale et des Familles, P. Izard rappelle que les Conseils Généraux ont l’obligation de prendre en charge ces jeunes jusqu’à 18 ans et de façon facultative jusqu’à 21 ans.

Pourtant, avec l’arrivée de 62 migrants supplémentaires sur la région Toulousaine cette année, les syndicats de travailleurs sociaux déplorent la non application de la circulaire Taubira du 31 mai 2013, dont l’objectif est de « limiter autant que faire se peut les disparités entre les départements s’agissant des flux d’arrivée des jeunes ». Elle stipule à ce titre la nécessité d’une gestion nationale de la prise en charge des mineurs et jeunes majeurs isolés, afin de les diriger vers d’autres régions et départements moins impactés par les flux migratoires.

Au sein de la MECS transition à Toulouse, l’arrêt de la prise en charge de certains jeunes a provoqué une levée de boucliers des équipes éducatives. Une jeune Guinéenne, Un Tunisien et un Togolais âgés de 20 ans touchés par des problématiques médicales, ont été avertis de l’arrêt brutal de leur prise en charge au 31 août. En réponse, l’ensemble des travailleurs sociaux ont décidé d’entamer un mouvement de grève, soutenu par les autres jeunes du foyer. Sandrine Loustalan, éducatrice spécialisée, affirme que c’est « la première fois que l’ASE connaît de telles atteintes ». Soutenant la grève, elle campe avec ses collègues devant le siège du conseil général de Haute Garonne depuis le 9 septembre, avec les jeunes hébergés dans son centre d’accueil.

L’argument comptable ne tient pas pour Nadine Delbes, éducatrice spécialisée au sein de la MECS transition : « les logiques financières viennent prendre le pas sur l’humain, mais le calcul est mauvais : cela coûterait plus cher à la société de laisser les plus fragiles à la rue », arguant des risques de prostitution et de délinquance pour certains de ces jeunes. Nadine reconnaît le volontarisme et le travail menés depuis de nombreuses années par le CG 31 auprès des plus précaires, grâce au partenariat de l’ASE. Mais, nous indique-t-elle, « depuis 30 ans que je travaille, c’est la première fois que je vois çà […] j’ai voté Hollande au deuxième tour en 2012, pas sur que je revote pour le PS s’ils n’infléchissent pas leur politique en matière de social »

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